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« Toutes les pathologies chroniques devraient bénéficier de consultations d’accompagnement » Interview de Gaëlle Galinié, infirmière en chimiothérapie au sein de l’Hôpital-Clinique Claude Bernard Metz

16 mars 2022

En complément des consultations d’annonce du diagnostic d’un cancer, de plus en plus d’établissements développent des consultations dédiées à l’accompagnement des patients avant leur traitement. Ces temps d’échanges sont des moments importants pour prévenir l’installation d’angoisses, faciliter la gestion des effets secondaires et probablement améliorer l’observance. Avec Gaëlle Galinié, infirmière en chimiothérapie à l’Hôpital-Clinique Claude Bernard, un établissement ELSAN situé à Metz nous faisons le point sur les consultations d’annonce et de chimiothérapie qu’elle réalise avec ses collègues, auprès de femmes atteintes d’un cancer du sein. Elle revient sur les enjeux de ces rendez-vous et sur la nécessité, selon ces infirmières, de développer cette approche pour toutes les maladies chroniques.

JIM.fr – Quels sont les objectifs principaux des consultations infirmières proposées à l’Hôpital- Clinique Claude Bernard ?

Gaëlle Galinié – Nous organisations deux consultations.

En premier lieu, la consultation d’annonce. Elle se déroule immédiatement après l’annonce du diagnostic, tandis que la seconde consultation infirmière à l’Hôpital-Clinique Claude Bernard est mise en place juste avant le début de la chimiothérapie.
La consultation d’annonce est vraiment un échange centré sur la personne, avec comme principe directeur l’écoute active. Elle est un véritable sas de décompression. Les patientes que nous recevons sont généralement choquées par l’annonce qui vient de leur être faite. Notre rôle est de reformuler ce qui a été dit par le médecin et d’entendre ce qu’elles en ont compris. Au cours de cette consultation, nous insistons notamment sur le fait qu’après la chirurgie, une longue période d’attente de 14 jours va être nécessaire pour obtenir les résultats des examens des tissus prélevés, qui permettront d’orienter vers telle ou telle prise en charge. C’est très important à rappeler parce que ces 14 jours sont une période très longue pour les patientes : ils représentent l’inconnu, l’incertain. Cet après-chirurgie est à l’origine de beaucoup d’angoisses.
Comme infirmières en chimiothérapie, nous pouvons également les rassurer concernant ce traitement, en leur expliquant que nous allons les recevoir pour nous concentrer uniquement sur la chimiothérapie, et d’autre part que les prises en charge ont beaucoup évolué et que beaucoup peut être mis en place pour améliorer leur confort.

Permettre aux patientes d’identifier les bons interlocuteurs grâce à un travail minutieux de coordination

Ce moment de consultation est donc à la fois consacré à la transmission d’informations et à l’écoute. Nous les laissons beaucoup parler de leur parcours, ce qui commence par les raisons pour lesquelles elles ont fait une mammographie (dépistage organisé, autopalpation…). Enfin, dès cette consultation, un état des lieux des besoins en soins de support est réalisé et il est possible dès cet instant d’organiser un rendez-vous avec la psychologue.
Il s’agit également pour nous de revenir sur toutes les étapes du parcours de soins, de façon très pratique. On leur signale également les personnes avec lesquelles elles peuvent échanger (comme les infirmières de chirurgie).
Nous assurons un rôle essentiel de coordination.

Nous trouvons en effet indispensable qu’elles puissent être certaines de pouvoir identifier un interlocuteur auquel poser toutes leurs questions médicales mais aussi pratiques. Nous sommes aussi là pour alerter, en cas de souffrances psychologiques les concernant elles ou un aidant. Nous sommes là pour orienter.
La consultation de chimiothérapie intervient quand les résultats de l’anatomopathologie ont été connus et qu’à l’issue du premier rendez-vous avec le cancérologue a été décidée la mise en place d’une chimiothérapie. La pose de la chambre implantable a même déjà été réalisée, puisque nous recevons les patientes la veille du premier jour de traitement. Cette consultation est destinée à refaire un état des lieux sur tout le parcours de soins et leur vécu. Nous nous concentrons notamment sur leur ressenti pendant les quatorze jours d’attente des résultats des examens histologiques. Puis, nous procédons de manière différente en fonction des patientes. Certains préfèrent que nous développions nous même la liste des effets secondaires, à partir des ordonnances, quand d’autres, qui se sont beaucoup renseignées, ont déjà une liste préparée de questions. Quelle que soit notre approche qui est toujours personnalisée, notre objectif est qu’elles sachent comment réagir face à la survenue d’un effet secondaire. Enfin, cette consultation permet encore une fois de faire un point sur les soins de support (psychologue, diététicienne, socio-esthéticienne…). Ces consultations d’annonce ou de chimiothérapie durent généralement trois quarts d’heure.

JIM.fr – Combien de professionnels participent à cette consultation ? Comment est assuré le soutien « permanent » offert aux patientes ?

Gaëlle Galinié – La consultation d’annonce doit être conduite par des infirmières « expertes » en parcours de soins, afin d’éviter tout caractère anxiogène pour les patientes. Actuellement, nous comptons deux infirmières dédiées à ces consultations d’annonce et deux autres sont en train d’être formées (deux journées de formation avec une psychologue).

Des effets très probables sur l’acceptation et l’observance

Concernant la consultation de traitements, les infirmières de chimiothérapie doivent toutes être aptes à assurer cette consultation, après une formation en interne par les pairs. Pour le soutien permanent, d’abord nous rappelons aux patientes vers quels interlocuteurs elles peuvent se retourner à chaque étape (par exemple les infirmières de chirurgie).
Par ailleurs, nous les appelons après l’intervention lors de leur retour à domicile.

Nous leur donnons en outre notre numéro de téléphone, notre adresse email et elles peuvent nous contacter à tout moment même si elles ne font pas de chimiothérapie, même si elles n’ont pas de traitement, et même si elles se font traiter ailleurs. C’est un point essentiel pour nous.

JIM.fr – Quel est l’apport de votre accompagnement en ce qui concerne les souffrances psychologiques des patientes ? Quel est l’effet sur l’acceptation et l’observance des traitements ?

Gaëlle Galinié – J’ai pu comparer la différence entre sans et avec la consultation infirmière et je perçois combien elle est positive pour les patientes. Même s’il y a énormément d’informations délivrées, leur sentiment est qu’elles peuvent avoir une certaine emprise sur les choses. L’angoisse est diminuée. Les appréhensions restent nombreuses, mais elles savent qu’elles peuvent poser leurs questions. Un climat de confiance est créé.
Une étude serait évidemment nécessaire pour mesurer l’effet sur l’observance, mais mon sentiment est qu’il y a une amélioration en la matière grâce à ces accompagnements. Souvent, les patientes se demandent en consultation : « mais pourquoi je fais ça, ça sert à quoi ». Bien sûr, nous ne sommes pas là pour convaincre, encore moins pour les contraindre, mais les images simples qu’on leur donne leur permet de visualiser l’intérêt des traitements. Cela est très rassurant.

Quels sont les différents soins de support dont peuvent bénéficier les patientes de l’Hôpital- Clinique Claude Bernard (au sein de l’établissement et à l’extérieur)? Pouvez-vous vous reposer sur un réseau de professionnels en ville pour répondre aux différentes demandes de soins de support des patientes ?

Gaëlle Galinié – Nous présentons aux patientes un livret qui établit la liste de tous les soins de support présents au sein de notre hôpital privé . Certains sont en cours de développement, en lien notamment avec le nouvel établissement qui devrait voir le jour en 2024. Nous comptons une psychologue, une tabacologue, une socio- esthéticienne, l’espace Ligue contre le Cancer, une sophrologue, une hypnothérapeute, une assistante sociale une la diététicienne (en cours de développement pour ce dernier soin de support).
En dehors des soins présents au sein de l’Hôpital-Clinique Claude Bernard , nous disposons d’un réseau en ville, qui est encore perfectible. Nous sommes notamment en train de réfléchir à la réalisation d’un listing de coordination entre la ville et l’hôpital, afin de pouvoir encore mieux aiguiller nos patientes. C’est un travail de longue haleine.
Quand nous n’avons pas de réponse, nous pouvons nous tourner vers le médecin, la cadre ou un réseau associatif puisque nous travaillons de concert avec la Ligue contre le cancer.

JIM.fr – Que proposez-vous en ce qui concerne l’accompagnement de l’entourage des patientes ?

Gaëlle Galinié – Les aidants sont le plus souvent là pendant les consultations, même si évidemment le choix est laissé aux familles. Quand ils sont là, et même quand ils ne sont pas là, nous demandons toujours comment a été faite l’annonce aux proches. Nous pouvons proposer de l’aide en la matière, en particulier en signalant que la psychologue peut intervenir, par exemple s’il y a des jeunes enfants. Nous laissons la porte ouverte. La psychologue peut rencontrer les accompagnants et les aidants seuls si nécessaire. Elle reçoit aussi les enfants, s’il y a une problématique dont les patientes nous font part. Il y aurait peut-être cependant un travail plus approfondi à faire vis-à-vis des aidants et des proches. Cependant, tout le monde ne souhaite pas l’implication de son entourage, nous sommes là pour dire que des choses sont possibles, mais sans forcer. Nous leur rappelons également qu’elles peuvent tout à fait s’adresser à d’autres professionnels en ville.

Accueillir les patientes d’abord en tant que personne avant de penser à leur maladie

JIM.fr – Quels aménagements avez-vous pu mettre en place pour faire de la salle de chimiothérapie un « lieu de vie » ?

Gaëlle Galinié – Bien plus qu’une question d’aménagement des locaux (même si cela a une importance), le « lieu de vie » se crée à partir du moment où nous faisons le choix de les accueillir d’abord en tant que personne, avant de les voir comme des patientes. Ainsi, nous ne parlons pas que de la maladie et du traitement, mais aussi de leur vie familiale. Nous avons une relation avec eux. Nous parlons de tout et de rien, nous plaisantons, c’est ça qui constitue le lieu de vie. Par ailleurs, de façon plus matérielle, elles peuvent se servir librement du café, du thé, il y a toujours des gâteaux. Avant la Covid, elles avaient même la possibilité de fêter leur anniversaire ou d’apporter leurs spécialités. Nous voulons éviter de faire de cet espace un lieu solennel et dramatique. Cela permet d’alléger l’angoisse, mais par ailleurs, des réactions agacées face à de l’humour et à une certaine forme de légèreté contribuent aussi à repérer des colères non exprimées.

JIM.fr : Quel est votre rôle en ce qui concerne le déploiement de « patients experts » et quel est votre regard sur ce « statut » ?

Gaëlle Galinié – Au sein de notre hôpital privé , c’est la Ligue qui est chargée de cette mission, qui les forme. Au sein de notre structure, nous avons une patiente experte qui vient régulièrement s’adresser aux patientes. Je trouve que c’est une plus-value. En effet, vivre les effets secondaires et les décrire, sont deux choses bien différentes. Mais bien sûr, la formation est indispensable. Tout le monde ne peut pas être patient expert, il est indispensable de pouvoir avoir le recul nécessaire, afin d’être vraiment utile aux autres.

JIM.fr : Enfin, quel est votre regard global sur les consultations infirmières mises en place au sein de votre établissement ?

Gaëlle Galinié – Compte tenu de l’importance de ces échanges, il me semble qu’elles ne devraient pas uniquement concerner la cancérologie, mais toutes les pathologies chroniques. Ce que nous observons c’est que l’absence d’accompagnement, peut générer des angoisses, des insomnies et d’autres symptômes que l’on peut prévenir juste en répondant aux questions. On a tout intérêt à développer ce type de consultation pour toutes les maladies chroniques.
Je reste ouverte à l’idée de participer à des actions au sein d’ELSAN pour partager mon expérience et connaître celles des autres.

Propos recueillis par Aurélie Haroche

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Le traitement du cancer chez ELSAN

ELSAN est le deuxième acteur de soins en cancérologie en France. Présent auprès des patients et de leur entourage tout au long de leur maladie et jusqu’à l’après-cancer, le Groupe participe significativement à l’amélioration de l’offre de santé en cancérologie en France. Chaque année, un patient sur 8 est pris en charge dans un établissement ELSAN, soit près de 50 000 patients opérés de leur cancer. Mais la chirurgie n’est pas la seule modalité disponible. Nos établissements réalisent également plus de 200 000 séances de chimiothérapie pour plus de 20 000 patients. A titre d’exemple, cela représente un patient sur 5 pour la prise en charge du cancer de la prostate et une patiente sur 10 dans le cancer du sein. Les centres de radiothérapie prennent en charge plus de 11 000 patients de radiothérapie, soit un patient sur 20 en France. Enfin, les patients se présentant pour un cancer dans un établissement ELSAN sont pris en charge en moyenne sous une quinzaine de jours, là où ce délai est en moyenne de 3 semaines partout en France.
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