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Santé environnementale : les praticiens doivent être aidés pour intégrer cette dimension dans leur pratique quotidienne

17 janvier 2023

Les patients sont de plus en plus attentifs à la question des conséquences potentielles de l’exposition aux polluants sur leur santé. Parmi eux, les femmes enceintes sont particulièrement sensibles à ces sujets. Mais les médecins ne sont pas encore parfaitement armés pour y répondre, pour les aider à faire le tri entre les différentes informations disponibles et surtout pour leur délivrer des conseils appropriés et personnalisés. Pour le Dr François Lisik, gynécologue-obstétricien au sein de la Polyclinique Urbain V à Avignon (un établissement ELSAN au sein des Hôpitaux privés du Vaucluse), il ne fait aucun doute que non seulement les praticiens doivent être formés en la matière et que par ailleurs ils doivent pouvoir s’appuyer sur des outils diagnostics qui leur permettront de mieux intégrer la santé environnementale dans leur pratique. C’est pour lui l’une des principales conclusions d’une étude en recherche clinique qu’il a pu conduire avec le Dr Eric Glowaczower, gynécologue-obstétricien à Marseille et le soutien complet d’ELSAN auprès de 180 femmes enceintes ou ayant un projet de grossesse. Cette étude avait été acceptée lors de la campagne d’appel à projets de recherche ELSAN laquelle soutient les chercheurs dans leurs projets scientifiques. Les projets sélectionnés bénéficient d’un soutien allant de l’aide méthodologique aux soumissions technico-réglementaires, du data management, l’analyse statistique, du temps d’attaché de recherche clinique ou de la rédaction médicale.

Il évoque pour nous les objectifs et enjeux de cette étude et d’une manière générale, la question de l’exposition aux polluants environnementaux chez les femmes ayant un projet de grossesse ou enceintes.

JIM.fr : Considérez-vous que l’exposition aux métaux soit un sujet de préoccupation suffisamment important des femmes enceintes (ou ayant un projet de grossesse) et des médecins qui les suivent ?

Dr François Lisik : Il faut informer nos patientes des nombreuses conclusions d’études scientifiques qui abondent dans le même sens : l’exposition aux polluants environnementaux, tels que l’antimoine, l’arsenic, le mercure ou le plomb est nocive pour la santé humaine, et plus encore, dans la période de vulnérabilité qu’est la grossesse. On sait aujourd’hui que certaines maladies telles que les cancers ou pathologies cardio-vasculaires, respiratoires, thyroïdiennes, voire neurodégénératives, trouvent leurs origines aux premiers moments de la vie. En effet, les produits toxiques présents dans le quotidien de la femme enceinte peuvent traverser le placenta et atteindre le fœtus. L’exposition des 100 premiers jours de vie impacte le capital santé de la vie future du bébé à naitre : le compteur débutant le jour de la conception. Il est donc important que le corps de la future mère soit préparé, que tout ait été mis en œuvre en amont pour éviter les expositions aux polluants au moment de la conception.

Des femmes ayant un projet de grossesse ou enceintes portent un intérêt majeur sur ces sujets

Nous sommes passés à l’ère de la prévention, le médecin se doit de prévenir les maladies environnementales en informant leurs patients du risque encouru pour tel ou tel polluant. Mais le médecin peut être un peu perdu face à toutes les informations en santé environnementale, d’autant plus qu’il n’a pas eu de formation en la matière pendant ses études, et souvent les patients qui le consultent ont déjà pour leur part de nombreuses questions et attentes sur ces sujets. Dès lors, il est primordial pour les praticiens de pouvoir se reposer sur un outil diagnostic personnalisé leur permettant de guider chaque patient, de hiérarchiser ce qui doit être changé dans le quotidien individu par individu. Au même titre qu’après un test mettant en évidence un diabète gestationnel, des conseils hygiéno-diététiques vont pouvoir être donnés, le résultat d’un test de détection de différentes substances polluantes va permettre d’orienter les conseils des médecins.

L’étude sur les métaux que nous avons réalisée a permis de montrer l’intérêt majeur sur ces sujet de la part des femmes ayant un projet de grossesse ou enceintes . A chaque fois que j’ai proposé de participer à cette étude, les patientes étaient très enthousiastes à l’idée de pouvoir bénéficier d’un test de détection. Les patientes étaient manifestement très satisfaites de voir qu’un médecin gynécologue s’intéresse à la santé environnementale.

La pertinence de l’intérêt du médecin gynécologue est double : d’abord parce que la pré-conception et la grossesse sont des périodes de vulnérabilité importante quant à l’exposition à différents polluants. Par ailleurs, la grossesse est une période privilégiée pour transmettre des conseils sur leur vie quotidienne aux femmes, qui sont très sensibles à tout ce qui pourrait avoir une influence sur leur enfant à naître.

JIM.fr : Cependant, la grossesse est également une période où les nombreuses recommandations et interdictions peuvent favoriser l’anxiété de certaines patientes. La surveillance de l’exposition aux polluants ne risque-t-elle pas d’accroître les inquiétudes de certaines ?

Dr François Lisik : Une fois les autorisations règlementaires obtenues, notre étude était menée en deux temps. Un premier test permettait d’évaluer le niveau de contamination aux métaux des participantes. Un protocole de conseils adaptés aux métaux retrouvés était alors remis à celles qui présentaient un niveau d’exposition à risque.  Six mois après, un second test leur était proposé pour évaluer l’efficacité de ces conseils. Or, si les patientes étaient ravies de savoir à un instant T leur niveau de contamination, on a pu constater (mais nous y reviendrons plus tard) que toutes ne sont pas prêtes à changer leurs habitudes de vie en ce qui concerne les substances polluantes.

Des études de plus en plus nombreuses et solides sur les risques existants

C’est vrai que c’est une période où les femmes ont envie de faire attention, mais en même temps elles ont déjà beaucoup de choses à surveiller. Par ailleurs, quand on délivre des conseils de vie, on touche à l’intime. Mais notre priorité, c’est d’apporter de l’information.

JIM.fr : Quels sont les risques bien établis associés à une exposition aux métaux des femmes en âge de procréer et des femmes enceintes ?

Dr François Lisik : Ce qui est étonnant quand on analyse les études en santé environnementale c’est le nombre de travaux scientifiques établissant des liens forts entre polluants environnementaux et risque de perturbations de la santé humaine. Le nombre d’études abondant dans le même sens devrait à mon sens amener les médecins et les autorités sanitaires à s’engager davantage en ce qui concerne l’information de la population et la formation des professionnels de santé, quant aux modifications de comportement permettant de limiter l’exposition aux polluants environnementaux.

Nous pouvons citer comme exemple les liens de causalité établis entre certains polluants et quelques pathologies de la femme, tels le bisphénol A et le cancer du sein ou encore les phtalates (particules de plastique) et l’endométriose. Concernant les métaux : pour le cadmium, on connaît son effet cancérigène au niveau pulmonaire. Pour le mercure, ses effets neurologiques ou son rôle dans la survenue de certaines malformations fœtales (on l’a vu notamment chez les orpailleurs) sont bien décrits. Il en est de même en ce qui concerne le plomb et les retards de croissance ainsi que les retards mentaux (saturnisme).

JIM.fr : Est-ce que vous pensez qu’il y a eu une diminution ou une augmentation de l’exposition des femmes, notamment parce que pour certains polluants, des actions ont été menées (interdiction de la peinture au plomb, actions fortes concernant le tabagisme, recommandations fortes quant à la consommation de poisson pendant la grossesse…) ?

Dr François Lisik : Plus on apporte d’information, meilleur c’est pour les patientes. Tout cela va en effet dans le bon sens. Mais en apportant davantage d’informations, cela permettra d’accélérer le changement que ce soit en ce qui concerne les patients ou vis-à-vis des industriels, car beaucoup d’études demeurent encore lettre morte.

JIM.fr : Quelles femmes sont particulièrement exposées aux métaux ?

Dr François Lisik : Ces données concernant la population française n’existent pas. C’est la raison pour laquelle il convient désormais de proposer un test de détection de nombreux polluants à nos patientes. Elles pourront ainsi savoir si leurs comportements au quotidien (alimentation, produits cosmétiques, activité professionnelle, vie à la maison) ne les exposent pas à certaines pathologies à long terme, dans le cas où l’on détecterait une exposition à risque à telle ou telle substance. Ces nouvelles données permettront de valider des habitudes de vie pour les patientes dont les tests ne mettront pas en évidence de sur-exposition ou permettront de corriger une habitude de vie délétère. Ces données permettront également d’avoir des études comparatives concernant l’augmentation ou la diminution de l’exposition des femmes enceintes aux polluants environnementaux.

JIM.fr : Pouvez-vous nous présenter les grandes lignes de votre étude ? Quel est son objectif ?

Dr François Lisik : C’était une étude concentrée sur les métaux, c’était un choix. Les métaux sont en effet associés à des marqueurs et à des limites minimales et maximales qui sont bien établis. On peut aussi tester des polluants type pesticides, bisphénol, glyphosate, parabène, mais pour certaines de ces substances, les limites ne sont pas connues ; la communauté internationale n’a pas statué sur les seuils, parce qu’il n’y a pas suffisamment de données.

Une étude en deux temps

Notre test consistait donc en la recherche des trois métaux lourds (cadmium, mercure et plomb) et de quarante-deux autres métaux (éléments traces métalliques).

L’objectif principal de l’étude était d’évaluer les conseils comportementaux sur la réduction du niveau d’exposition aux polluants environnementaux (métaux) chez les femmes enceintes ou en désir d’enfant. On proposait à toutes les patientes (en désir d’enfant ou au premier trimestre de grossesse) de leur prendre une mèche de cheveux et de l’analyser pour rechercher des métaux. Il y avait trois niveaux d’exposition : un niveau à risque, un niveau intermédiaire et un niveau faible. N’étaient concernées par le deuxième test que les patientes qui avaient un niveau d’exposition à risque, ce sont à ces patientes-là que l’on donnait des conseils, quand cela était possible (pour certains métaux, les informations restent parcellaires).

L’objectif secondaire était l’évaluation du profil toxicologique d’une population définie dans un territoire géographique donné. Nous souhaitions également évaluer la satisfaction des patientes quant à une telle approche de santé et nous l’avons déjà dit, la satisfaction était très bonne en ce qui concerne l’obtention de l’information.

JIM.fr : Combien de femmes ont été incluses dans votre étude ? Sont-elles représentatives de la population générale ? Combien de praticiens y ont participé ?

Dr François Lisik : L’étude a été conduite par deux centres, un premier à Saint Rémy de Provence et un second à Marseille, ce qui était assez intéressant et cohérent avec la population générale.
Le centre à Saint Rémy de Provence concernait des patientes semi-rurales ou rurales et les patientes à Marseille (centre ville) étaient citadines. Nous avons inclus 90 patientes à Saint Rémy et 90 à  Marseille.
Les premiers résultats ont montré que la moitié des patientes à Saint Rémy présentaient un test positif : c’est-à-dire une exposition à risque pour un ou plusieurs métaux. Donc les quarante-cinq patientes qui avaient un test négatif étaient rassurées sur le fait qu’elles n’avaient pas de sur-exposition.

Les métaux présents dans les composants des téléphones portables plus souvent retrouvés

Un nouveau test était proposé six mois plus tard. Cependant, sur les 45 patientes concernées à Saint Rémy, la moitié ont répondu à l’appel seulement. Avec un petit peu de distance, elles nous ont confié qu’elles avaient beaucoup de mal à changer leurs comportements et donc elles ont craint des remontrances. Concernant les patientes qui ont réalisé le second test, la moitié présentait un test devenu négatif.

A Marseille, les deux tiers des patientes présentaient un test positif, mais aucune patiente n’a accepté de réaliser le second test.
Il me semble que si la prise en charge du test avait été conditionnée à la réalisation du second test, l’adhésion aurait pu être plus importante.

Les métaux retrouvés étaient les mêmes à Marseille et à Saint-Rémy de Provence. En numéro 1 ce sont les terres rares, en numéro 2, le titane et ensuite un peu d’aluminium. Les terres rares sont notamment utilisées dans les composants des nouvelles technologies, les batteries des aimants, les écrans de téléphone portable.

JIM.fr : Que comporte le protocole de conseils dont vous évaluez l’efficacité ? Les conseils sont-ils adaptés en fonction des résultats du test de dépistage ?

Dr François Lisik : Pour celles qui étaient positives, on leur donnait deux types d’information. D’abord, des fiches de conseils généraux. J’utilisais les fiches de l’ASEF, Association santé environnement France, qui a produit une fiche à destination des patientes, concernant les habitudes de vie globales (peinture, alimentation, cosmétique, conservation des aliments, produits ménagers…).

Parallèlement, nous disposions de fiches qui concernent le titane, l’aluminium, le cadmium, l’étain, le mercure, le plomb, le palladium et les antimoines, qui étaient transmises aux patientes chez lesquelles un niveau d’exposition à risque concernant un de ces métaux avait été retrouvé. Ces conseils ciblés permettent également d’éviter que le résultat obtenu soit dramatisé.

JIM.fr : Quelles sont les prochaines étapes ?

Dr François Lisik : C’est de susciter l’adhésion des médecins sur ces questions de santé environnementale. Il faut les aider, parce qu’ils n’ont pas été formés. Or, pour conserver la crédibilité de la parole médicale, il est important que les conseils en santé environnementale et la prévention dans ce domaine se développent, compte-tenu notamment de l’attention importante des patients sur ces sujets (comme en témoigne la forte adhésion au premier test). On a une nécessité à être formé sur ce sujet : les autorités sanitaires ont, me semble-t-il, pris la mesure de l’importance de ce point. Par ailleurs, ce qui ressort de l’étude c’est que c’est difficile de changer ses habitudes, surtout face à la multiplicité des conseils. Mais si le conseil peut-être plus ciblé, en se basant sur le résultat d’un test, cela pourrait être mieux suivi. L’existence d’un test diagnostique incitera davantage les médecins à intégrer la santé environnementale dans leur pratique.

JIM.fr : Dans quelle mesure ELSAN vous a soutenu dans la mise en œuvre pratique de votre travail de recherche ? De quels soutiens avez-vous pu bénéficier en particulier ?

Dr François Lisik : Tout d’abord, c’est certain, en finançant tous les tests, cela a permis de monter une étude d’envergure sur deux centres, la Polyclinique Urbain V et le Centre d’infertilité Cabinet Carré Saint-Giniez, alors que sans cette gratuité, cela n’aurait probablement pas été aussi rapide. Par ailleurs, le soutien est un soutien complet. Il concerne la mise en place de l’étude, avec notamment la détermination des critères d’inclusion, des critères d’exclusion, la durée de l’étude, l’accompagnement sur tous les aspects réglementaires, et méthodologiques. Cela a été indispensable pour moi qui suis praticien libéral. Je ne suis pas rodé à la réalisation de telles études, et grâce à ELSAN, j’ai pu travailler parfaitement sereinement. Le groupe ELSAN continue à m’aider dans la rédaction de l’article, tandis qu’une présentation de mes résultats est prévue en novembre à la Société francophone de santé environnementale. Je pense que le groupe a pris la mesure de l’importance de ces études en santé environnementale sur le patient, parce qu’il y a un vrai enjeu.

Tout au long de l’année, ELSAN accompagne ses praticiens pour développer ou poursuivre une activité de recherche clinique jusqu’à la valorisation de leurs résultats au travers de publications scientifiques. La recherche clinique au sein d’ELSAN s’inscrit dans la mission que le Groupe s’est fixée :  offrir à chacun et partout, des soins de qualité, innovants et humains. Elle est un pilier incontournable et fondamental au service des patients, au service de l’excellence médicale d’aujourd’hui et des standards que cette même excellence imposera demain. Au cours des quatre dernières années, 851 médecins ont publié 2158 articles scientifiques. Depuis 2016,  216 projets ont été financés ou cofinancés, dont : 111 dans le cadre des campagnes d’appels à projets ELSAN ,  6 projets de promotion interne en cours et 260 études à promotion externe ont été soutenues.

A propos d’ELSAN : leader de l’hospitalisation privée en France en médecine, chirurgie et obstétrique, ELSAN est présent sur l’ensemble des métiers de l’hospitalisation et dans toutes les régions de France pour offrir à chacun et partout des soins de qualité, innovants et humains.  Agir et innover pour la santé de tous au cÅ“ur des territoires, c’est la raison d’être d’ELSAN. Le groupe compte désormais 28 000 collaborateurs, et 7 500 médecins libéraux exercent dans les 137 établissements du groupe. Ils prennent en charge plus de deux millions de patients par an. ELSAN assume pleinement sa Responsabilité Sociétale d’Entreprise. La démarche RSE a pour ambition de répondre aux enjeux du développement durable et de valoriser les établissements et les collaborateurs dans leur mission au service des patients et des territoires. Pour en savoir plus sur ELSAN #ResponsableEtEngagé Â