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Médecin assistant à temps partagé entre le public et le privé : ou comment lutter contre les clivages inconscients

10 janvier 2022

Le statut d’assistant à temps partagé, dispositif récent, permet aux jeunes médecins à la fin de leur internat d’exercer durant deux ans entre un CHU et un hôpital périphérique, voire entre deux hôpitaux publics ou privés, ou entre la ville et l’hôpital. Ce dispositif qui se déploie peu à peu depuis quelques années est destiné à faciliter les coopérations et à permettre aux jeunes praticiens de se familiariser avec d’autres types et lieux d’exercice. Avec le Dr Pierre Bordillon, gastro-entérologue, qui achève son assistanat partagé entre le CHU de Limoges et le Centre médico-chirurgical des Cèdres à Brive-La-Gaillarde, un établissement ELSAN, nous revenons sur les enjeux et intérêts de ce type de partenariat, en particulier pour les jeunes praticiens.

JIM.fr : Pouvez-vous nous rappeler le cadre général du statut d’assistant spécialiste à temps partagé ?

Dr Pierre Bordillon – Le statut d’assistant fait partie du post internat. Il ouvre les mêmes perspectives que le statut de chef de clinique, notamment la possibilité de s’installer en secteur 2 (à l’exception des carrières
universitaires). L’assistanat dure généralement deux ans. Le statut relativement nouveau d’assistant partagé suppose que l’on exerce dans plusieurs lieux différents, deux, trois, voire quatre et qui peuvent être
publics et privés.

JIM.fr : Dans quel cadre s’est déroulée votre expérience personnelle ?

Dr Pierre Bordillon – Pour ma part, mon assistanat partagé s’est déroulé à 50 % au CHU de Limoges et à 50 % au Centre médico-chirurgical des Cèdres à Brive-La-Gaillarde, un établissement ELSAN. Sa spécificité est donc
son caractère mixte public/privé. Mon activité est assez semblable à la clinique et à l’hôpital, centrée sur les consultations et les endoscopies et le suivi des hospitalisations. Bien sûr, le temps dédié à la formation
est un peu plus important au CHU, dont c’est la mission et d’autant plus que le CHU de Limoges est un centre expert pour l’endoscopie. A la clinique, je peux mettre en pratique cette formation.

Une transition en douceur qui permet d’acquérir de l’expérience

J’ai fait ce choix d’assistanat partagé avec comme objectif de préparer mon installation en libéral aux Cèdres, d’autant plus que le nombre de gastro-entérologues tend à diminuer dans l’établissement.

JIM.fr : Selon vous, quels sont les avantages pour les jeunes médecins de ces postes d’assistant partagé ?

Dr Pierre Bordillon – J’ai le sentiment que cela m’a permis de bien mesurer les avantages et les inconvénients des deux types d’exercice, de me familiariser avec plusieurs techniques, et également d’observer des
organisations différentes. Pour ma part, concernant le CHU et l’exercice privé, je n’avais pas beaucoup d’idées préconçues. J’ai le sentiment que cette expérience m’a offert une transition en douceur entre la fin de l’internat et de conforter ma future installation. Cela permet d’acquérir de l’expérience

JIM.fr : Dans quelle mesure selon vous ce type de poste permet d’améliorer les coopérations entre le public et le privé; la ville et l’hôpital ?

Dr Pierre Bordillon – J’ai pu constater qu’il existe toujours une forme de rivalité entre le public et le privé alors que nous avons tous le même objectif : accompagner la santé des Français. Il serait pourtant utile que se déploie ce type de postes d’assistants partagés. Ces postes d’assistants partagés entre le privé et le public me semblent également pouvoir être une réponse intéressante aux problèmes de désertification. En effet, alors qu’il existe parfois un engorgement dans les CHU, certains territoires comme le nôtre sont parallèlement désertés. En tout état de cause, les deux systèmes sont indispensables et ont des avantages. Il faut prendre le meilleur de
chacun et sans doute les expériences du type assistanat partagé peuvent contribuer à améliorer les coordinations. Les personnes réalisant un assistant partagé entre un établissement public et privé sont en effet
susceptibles de devenir des relais entre les structures. Elles pourront favoriser la mise en place de systèmes d’organisation propres au privé dans certains services publics et parallèlement encourager le développement de nouvelles techniques médicales dans les cliniques et hôpitaux privés.

JIM.fr : Quel type de mécanisme propre au privé pourrait selon vous être facilement et profitablement mis en place dans les établissements publics ?

Dr Pierre Bordillon – L’avantage d’un établissement privé c’est clairement la réactivité. Nous le constatons dès que l’on demande un examen : la réponse se fait en quelques heures à la clinique contre quelques jours à
l’hôpital. Tout est souvent plus fluide et cela est probablement intéressant à observer vu du public.

Des blocages administratifs et idéologiques dommageables

JIM.fr – Quelles sont selon vous les principales limites de ces postes d’assistant à temps partagé et comment pourraient-elles être corrigées ?

Dr Pierre Bordillon – L’organisation peut au début être jugée un peu complexe. En effet, pour ma part par exemple, je suis présent un jour sur deux à la clinique et un jour sur deux à l’hôpital. Il convient donc de pouvoir
maîtriser les deux emplois du temps. Mais cette organisation permet également de pouvoir assurer le suivi de ses patients hospitalisés et une coopération plus facile avec les autres médecins.

Je constate cependant que le déploiement des assistants partagés nécessite de nombreuses autorisations (chefs de service, de pôles, directeurs d’établissement…), sans parler de la nécessité de trouver un accord financier car le coût est parfois injustement supporté exclusivement par le privé. C’est autant de risques de blocages, d’autant plus que persistent parfois des réflexes hostiles, uniquement liés au refus de certains responsables d’envisager un assistanat dans une structure privée. Or, ce type de réaction est assez regrettable car dans les faits, il existe déjà une coopération active entre les établissements publics et privés. En ce qui nous concerne par exemple à la
clinique des Cèdres, nos réunions de concertations pluridisciplinaires ont lieu à l’hôpital de Brive car nous n’avons notamment pas de services d’oncologie. Il est à espérer que les expériences comme la mienne permettent
de mettre fin à certains des blocages que l’on observe encore, afin de rappeler que public et privé sont complémentaires et non des rivaux.

Interview réalisée par Aurélie Haroche

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