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Le confinement et l’épidémie : une situation propice au développement de troubles du sommeil

17 août 2020

Interview du docteur Rémi Lombard

Perturbant nos habitudes et facteur de stress chez un grand nombre d’entre nous, le confinement et l’épidémie ont pu favoriser le développement de troubles du sommeil. Le docteur Rémi Lombard (Polyclinique Vauban, établissement ELSAN situé à Valenciennes), spécialiste de la prise en charge des troubles du sommeil revient pour nous sur ce phénomène et sur les recommandations qui peuvent être adressées aux patients pour éviter l’installation durable des troubles. Nous évoquons également avec lui la nécessité d’une attention plus soutenue aux problématiques liées au sommeil et sur le rôle joué par une collaboration active entre la ville et l’hôpital.

JIM.fr : Avez-vous constaté une augmentation des demandes de consultations (ou de
téléconsultations) pour troubles du sommeil en lien avec le confinement, le déconfinement et l’épidémie de Covid-19 ? Quel type de troubles est principalement concerné ?

Docteur Rémi Lombard – Mes consultations étant fléchées, j’ai en effet pu facilement constater une demande plus importante, pour des prises en charge de l’insomnie, depuis la sortie du confinement. Ce type de motif est fréquent lors des prises de rendez-vous. Nous recevons également des appels de patients qui souhaitent consulter, parce qu’ils pensaient être fatigués à cause du travail et qui ont observé qu’ils demeuraient fatigués malgré l’absence d’activités professionnelles. Ainsi, la situation a été un déclencheur pour certains, le révélateur de difficultés. Cela reste très anecdotique, par rapport aux plaintes liées à des problèmes d’endormissement ou de réveils multiples avec difficultés pour s’endormir à nouveau.

JIM.fr : Pourquoi le confinement et la période actuelle peuvent-ils favoriser les troubles du sommeil et quel type de troubles en particulier ?

Docteur Rémi Lombard – Le confinement a entrainé de nombreuses perturbations de la vie quotidienne. Nous avons perdu nos routines sociales et professionnelles, nos loisirs. L’organisation personnelle a été modifiée. Certains, par ailleurs, auront passé plus de temps sur les écrans, à des heures plus tardives, ce qui entraîne également un décalage de notre horloge biologique. L’absence de contraintes professionnelles conduit à des levers irréguliers, ce qui est une perturbation des rythmes.

C’est donc plus difficile de maintenir une horloge biologique avec un rythme régulier dans ces conditions. Ce dérèglement entraîne des symptômes que l’on peut retrouver dans les décalages horaires : des troubles d’appétit, des troubles de l’humeur, un manque d’énergie, de la fatigue et de la somnolence entre autres. A la perturbation des attitudes dans un premier temps, s’ajoute le stress lié à l’épidémie elle-même. Certaines personnes ont peur pour elles-mêmes, pour leur entourage. Le stress est une réaction de défense de notre organisme face à un danger. Quand le stress dure trop longtemps, on s’épuise ; le stress devient pathologique.

Or, la période de stress a duré au moins six semaines. Il est connu que le stress chronique entraîne des difficultés d’endormissement et des réveils nocturnes. C’est lié à une augmentation du cortisol, notamment le soir, au moment où il est censé être à un faible niveau. Le cortisol est à l’origine d’une hyperactivité du système d’éveil pour faire face à un danger, donc il va entraîner des difficultés d’endormissement, des réveils nocturnes et cela fragmente les nuits et perturbe la fonction récupératrice du sommeil et favorise fatigue, irritabilité et insomnie. Avec le confinement, nous avons une conjonction du changement d’habitudes et de l’influence du stress.

Par ailleurs, nous avons en partie été moins exposés à la lumière du soleil (pour ceux vivant en appartement). Or, nous savons que la lumière du soleil participe à la régulation de l’horloge biologique. A ce stade, nous pouvons encore parler d’insomnies aiguës, quand cela dure depuis moins de deux mois, mais nous craignons un peu que cela devienne des insomnies chroniques.

JIM.fr : Existe-t-il des profils plus susceptibles d’être concernés par l’apparition de troubles du sommeil lors de crises sanitaires ?

Docteur Rémi Lombard – Les adolescents et les jeunes adultes sont plus sujets aux retards de phase, soit des réveils et des endormissements naturels plus tardifs. Les jeunes enfants et les personnes âgées présentent plutôt une avance de phase. Les adolescents et les jeunes adultes sont donc plus à risque, d’autant plus qu’ils ont plus tendance à utiliser les écrans.

On peut également rappeler les principes du modèle tripartite de Spielman. L’insomnie démarre avec un facteur prédisposant (il s’agit par exemple de sujets un peu plus anxieux), puis un facteur précipitant : dans la période actuelle, il s’agit de la peur de la maladie, la peur de la perte d’emploi, la rupture des contacts sociaux. Ces deux facteurs favorisent le risque d’insomnie aigüe. Le troisième élément est la mise en place des facteurs d’entretien, des stratégies de gestion inadéquates, qui vont provoquer une activation et des éveils conditionnés. Par exemple le fait de rester au lit : or plus on reste plus on lit, plus on s’énerve. Cela va créer un réflexe faisant du lit l’endroit on ne peut pas dormir.

JIM.fr : Comment éviter chez ces patients nouvellement concernés par des troubles du sommeil une pérennisation de ces troubles ?

Docteur Rémi Lombard – Les conseils que l’on peut proposer consistent à essayer de remettre l’horloge biologique à l’heure. Il s’agit de reprendre des heures de coucher et de lever très réguliers ; ne pas traîner au lit si la nuit a été mauvaise et ne pas rester au lit le week-end. C’est un message important avec le déconfinement : ne pas rester au lit si l’on ne s’endort pas, ne pas être tenté de récupérer le week-end. Par ailleurs, il faut s’exposer à la lumière du jour ou à des lumières fortes si l’on demeure confiné.

Il convient également d’éviter avant le coucher les tablettes, téléphones et ordinateurs.

Le sommeil sert à récupérer d’une dépense énergétique : aussi faut-il conserver une activité physique mais l’éviter dans les heures qui précèdent l’endormissement.

Il faut en outre se méfier des excitants : or, on a constaté que pendant le confinement les personnes consommaient plus d’excitants, qui sont plus facilement disponibles.

L’alcool est un faux ami et on a vu un certain nombre de personnes consommer plus d’alcool pendant le confinement. Or, s’il semble faciliter l’endormissement, il va générer des réveils en deuxième partie de nuit avec des difficultés pour s’endormir à nouveau et en plus il va altérer la structure du sommeil et le rendre moins réparateur.

On peut également conseiller d’essayer de privilégier une activité calme avant le coucher et d’éviter les énervements et les planifications.

Enfin, il faut préférer des chambres adaptées, dans l’obscurité, le silence et avec une température entre 18°c et 20 °C.

JIM.fr : Constatez-vous par ailleurs une aggravation des troubles chez des patients
antérieurement suivis par votre service ?

Docteur Rémi Lombard – Je pensais que les patients ayant déjà suivi une thérapie cognitivocomportementale (TCC) de l’insomnie seraient nombreux à me recontacter. Il apparaît au contraire que ces patients ont su adapter les conseils qu’ils avaient précédemment reçus. Par contre, dans les consultations de suivi d’apnée du sommeil et de suivi des jambes sans repos, des patients pour lesquels l’insomnie n’était pas un problème s’en sont plaints. En regardant les données machines, nous n’avons pas repéré de problèmes particuliers, pas plus d’apnée notamment. Ils ont pourtant plus souvent souffert d’insomnies (réveils de deuxième partie de nuit avec difficultés à se rendormir).

On observe également quelques récidives d’insomnie chez des personnes antérieurement traitées.
Ce qui nous soucie, c’est que les TCC de groupe n’ont pas encore pu reprendre et qu’il sera difficile de les mettre en place dans le contexte épidémique actuel.

JIM.fr : Est-ce qu’au contraire chez certains malades, une amélioration a pu être observée lors
du confinement ?

Docteur Rémi Lombard – Pour certains, le sommeil n’a jamais été aussi bon, puisque le rythme pouvait plus facilement être adapté, le temps de sommeil pouvait être plus long.

JIM.fr : Les médecins non spécialistes du sommeil vous semblent-ils suffisamment formés au repérage des troubles du sommeil ? Quelles collaborations existent et pourraient être mises en place pour améliorer le repérage et la prise en charge des patients ? Avez-vous mis en place au sein de votre clinique des collaborations dédiées aux troubles du sommeil ?

Docteur Rémi Lombard – Pendant mes études de médecine, je n’ai bénéficié que de deux heures de cours sur les troubles de sommeil ; ce qui est assez déroutant quand on rappelle que le sommeil concerne un tiers de notre vie. L’approche était en outre principalement pharmaceutique. J’ai le sentiment que l’approche est en train d’évoluer. Le sujet suscite également un intérêt soutenu lors des formations de DPC et de FMC.

Notre équipe a ainsi mis en place des formations à l’intention des généralistes et ELSAN qui est également devenu organisme DPC a prévu d’autres formations sur les troubles du sommeil en 2020 et 2021. Nous travaillons également avec un maillage de spécialistes du sommeil de la région pour essayer de dépister les patients qui peuvent souffrir d’insomnies et qui devraient justifier d’une prise en charge, notamment pour les patients souffrant d’apnées du sommeil. Ces praticiens formés, qui sont des pneumologues, des cardiologues, des psychiatres ou des généralistes réalisent les examens en ville et nous adressent les patients pour réaliser une polysomnographie et affiner le diagnostic. Par ailleurs, 27 autres établissements ELSAN proposent des polysomnographies partout en France.

Pour faire les bilans, nous nous appuyons sur une deuxième organisation, en collaboration avec des ORL, afin que ces derniers sachent quoi rechercher chez les patients apnéiques (dont il est important de rappeler qu’il ne s’agit pas uniquement de patients souffrant d’obésité) avec notamment un ORL qui réalise des endoscopies sous sommeil induit. Cela permet de constater l’apnée au moment où elle a lieu et de permettre une prise en charge optimale. Nous pouvons également compter sur des kinésithérapeutes et des dentistes formés. Ce maillage est essentiel parce que nous ne sommes pas nombreux à prendre en charge les insomnies dans le Hainaut et dans la région Nord. Le délai d’attente est ainsi de deux ans pour un rendez-vous chez un somnologue à Lille.

JIM.fr : D’une façon générale, quelles recommandations les médecins peuvent-ils faire à leurs patients pour préserver la qualité de leur sommeil ? Dans quel cadre ces recommandations devraient-elles faites selon vous ; systématiquement ou uniquement en cas de demandes directes des patients ?

Docteur Rémi Lombard – Il est certain qu’en parler fait mûrir l’idée chez le patient. Il paraît intéressant d’aborder la question du sommeil : cela permet d’avancer quelques pistes. Il y a des conseils sur lesquels il est facile d’insister : les horaires, le sport, les écrans, les excitants. Quatre conseils qui peuvent être rapidement assimilables, tandis qu’il s’agit d’un discours plus facile à entendre que le conseil de sevrage des somnifères. Évoquer le sommeil est important, notamment parce qu’on se rend compte qu’un grand nombre de patients ont l’impression qu’il n’y a pas de réponse. Si ça peut éviter de transformer certaines insomnies aiguës en insomnies chroniques ça peut être bien d’autant plus que les rendez-vous sont très rares.

L’enjeu est loin d’être marginal. En effet, selon les chiffres de la cohorte Wisconsin, l’apnée du sommeil concerne aujourd’hui 10 % des hommes et 3 % des femmes avant 50 ans et 17 % des hommes et 9 % des femmes après 50 ans. C’est donc un vaste sujet. Cela vaut d’autant plus la peine d’en parler quand on pense aux associations : 50 % des diabétiques de type 2 auraient de l’apnée, 50 à 80 % des patients souffrant de troubles du rythme cardiaque et 80 % des hypertensions artérielles réfractaires.

JIM.fr : Quelles sont les pathologies qui doivent inciter à une plus grande vigilance quant au risque d’installation de troubles du sommeil ?

Docteur Rémi Lombard – Dans le contexte actuel de sortie du confinement, les patients anxieux et dépressifs sont plus à risque et doivent inciter à la vigilance.

JIM.fr : Quelles sont les spécificités de la prise en charge des patients au sein de votre équipe ?

Docteur Rémi Lombard – Je suis généraliste de formation et j’ai été précédemment responsable d’une unité de sommeil respiratoire. Je travaillais également comme vacataire dans un service dédié aux maladies rares du sommeil où j’ai eu la chance de côtoyer des neurologues, des psychiatres pour la prise en charge de l’insomnie et des pneumologues pour la prise en charge de l’apnée du sommeil. La spécificité de notre unité au sein de la polyclinique VAUBAN est notre approche globale des troubles du sommeil. Nous abordons d’abord la question des habitudes de sommeil avant de parler de l’apnée du sommeil. En effet, si un patient continue à avoir de mauvaises habitudes, il affirmera ne pas supporter le recours à la machine. Il est nécessaire de créer les conditions optimales pour une bonne observance et une bonne efficacité du traitement. Nous nous caractérisons également par une approche coordonnée avec la ville. Les examens sont réalisés par les médecins de ville et notre coordination est optimale. Avant le confinement, sur les cinq à six nuits d’enregistrement, une à deux
nuits étaient destinées à répondre à la demande de médecins ayant déjà réalisé des examens de sommeil à domicile (demande d’avis en cas de polygraphie négative par exemple). Évidemment aujourd’hui, l’organisation est encore un peu modifiée avec les mesures sanitaires mises en place pour éviter les contaminations.