Retour aux actualités

Comment un groupe privé comme ELSAN oeuvre pour faire progresser la culture des soins palliatifs : interview croisée des Drs C. Fourcade et M. Combes

22 octobre 2021

Du 22 au 24 septembre se tenait à Lille, le vingt-septième congrès national de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), présidée par le Dr Claire Fourcade, médecin à l’Hôpital Privé du Grand Narbonne, un établissement ELSAN. Cette rencontre a été l’occasion pour le ministre de la Santé Olivier Véran de dévoiler les contours d’un nouveau plan dédié aux soins palliatifs, dont l’un des objectifs est de doter tous les départements d’une unité de soins palliatifs alors que 26 en sont encore dépourvus aujourd’hui. La SFAP estime par ailleurs que seuls un tiers des patients qui nécessiteraient des soins palliatifs y ont réellement accès. En amont du congrès, nous avons proposé au docteur Claire Fourcade et au docteur Myriam Combes (directrice de la stratégie et des relations médicales au sein d’ELSAN) d’évoquer la question des soins palliatifs en France (en nous inspirant d’abord de l’expérience narbonnaise du docteur Fourcade) et du rôle que pouvait jouer un groupe comme ELSAN pour faire progresser ces prises en charge sur notre territoire.

JIM.fr : Pouvez-vous nous détailler les circonstances de la création du service de soins palliatifs au sein de la Polyclinique du Languedoc ?

Dr Claire Fourcade : Le point de départ était une équipe mobile, ayant débuté son activité le 1er janvier 2000, sous l’égide de la clinique Les Genêts, à Narbonne. Ensuite, en 2006, nous avons regroupé six lits de soins palliatifs, en 2011 nous sommes passés à 12 et en 2013 nous avons déménagé à la Polyclinique du Languedoc. Quatre ans plus tard, a été ouvert un hôpital de jour et en juin dernier, nous avons déménagé dans un magnifique établissement, l’Hôpital Privé du Grand Narbonne. Nous comptons aujourd’hui douze lits de soins palliatifs, auxquels s’ajoute une équipe mobile qui intervient dans l’établissement et à domicile sur la moitié du département. En effet, il n’y a pas sur notre territoire de réseau de soins palliatifs.

JIM.fr : Comment est assurée la coordination avec les professionnels de santé de ville ?

Dr Claire Fourcade : C’est nous qui organisons la coordination en lien avec les professionnels de soins primaires. Les échanges se font dans les deux sens : soit ce sont eux qui nous appellent quand les patients sont à domicile, soit c’est nous quand des patients hospitalisés rentrent à la maison. Par ailleurs, depuis le début de l’épidémie, un groupe WhatsApp de l’ensemble des médecins du Narbonnais, soit 200 spécialistes et généralistes, a été mis en place, ce qui permet une communication beaucoup plus fluide.

JIM.fr : Quels sont les patients éligibles ?

Dr Claire Fourcade : Tous les patients atteints d’une maladie qui ne va pas guérir. Compte tenu du fait que la plus grande partie de la prise en charge en cancérologie est réalisée par notre établissement (et très peu à l’hôpital public), il s’agit principalement de patients suivis en oncologie. Parallèlement, à l’hôpital de Narbonne, l’équipe de soins palliatifs est plutôt dédiée à la gériatrie, puisqu’il dispose, contrairement à nous, d’un important pôle gériatrique. Ce qui conduit à ce partage. Mais nous accompagnons également des patients en insuffisance cardiaque ou des patients insuffisants rénaux en phase terminale (arrêt de dialyse) en lien avec notre centre de dialyse. Notre équipe accueille en outre des patients souffrant de maladies neurodégénératives, en particulier pour des séjours de répit.

JIM.fr : Il ne s’agit pas que de patients qui vont mourir très prochainement ?

Dr Claire Fourcade : 50 % des patients hospitalisés chez nous rentrent à domicile. L’idée est d’assurer des prises en charge précoces. Notre esprit est d’améliorer la qualité de vie des patients.

JIM.fr : Quelles sont les actions mises en place par ELSAN pour faire progresser les unités de soins palliatifs, y compris les équipes mobiles, sur le territoire français ?

Dr Myriam Combes : Notre activité de soins palliatifs est consubstantielle à un groupe qui est le deuxième groupe de prise en charge du cancer en France. Il existe au sein d’ELSAN une volonté d’organiser la prise en charge, afin notamment de proposer une structuration territoriale des soins palliatifs. C’est un aspect essentiel. Quand on souffre d’une maladie très grave, on désire être pris en charge près de chez soi et que les gens de notre entourage puissent être facilement à nos côtés. C’est également fondamental de pouvoir être suivis par des équipes qui nous connaissent. Les personnes prises en charge par nos équipes ont envie de continuer à l’être. En pratique, nous prenons donc acte de l’existence de cette activité et insufflons notre volonté de la structurer. Pour ce faire, il est indispensable que les professionnels puissent se parler, échanger sur leur protocole, partager leur expérience. Nous essayons d’élaborer ce processus avec l’aide du Dr Claire Fourcade, à travers un groupe national.

Personne ne veut partir à des centaines de kilomètres de chez soi, quand on est atteint d’une maladie grave

Dr Claire Fourcade : Cette notion de proximité est réellement essentielle. Ainsi, si nous avons décidé de regrouper des lits, de faire un service, c’était notamment parce que l’unité de soins palliatifs la plus proche était celle de Montpellier, à une centaine de kilomètres, à laquelle nous n’avions pratiquement jamais recours sauf pour des situations tout à fait exceptionnelles. Les patients n’ont jamais envie de partir à 100 kilomètres de chez eux quand ils vont mal. Ils ont envie que leur famille puisse être là. Il y a un vrai travail à faire, même dans des établissements qui ne sont pas forcément de grande taille, pour mettre à disposition des moyens sur place. Et la force d’un groupe c’est justement de mutualiser, de partager nos expériences, nos connaissances, d’échanger, pour combiner à la fois l’intérêt de la proximité et ce que peut apporter le fait d’être nombreux.
Dr Myriam Combes : ELSAN est par définition un groupe de proximité. Nous comptons deux Français sur trois vivant à moins de 50 km d’un établissement ELSAN et nous sommes représentés sur l’ensemble du territoire. Nous assumons donc pleinement ce rôle d’acteur de proximité.

JIM.fr : Dans ce contexte, il y a un travail à mener également avec les professionnels de ville.

Dr Myriam Combes : Évidemment dès que cela semble possible, nous essayons de mettre en place des partenariats avec les équipes de soins de ville. Mais il faut aussi rappeler que nous sommes également en constant partenariat avec l’hôpital public. Un patient sur cinq est soigné dans le privé et un patient sur douze chez ELSAN, donc on mesure bien les complémentarités qui peuvent se créer. Par ailleurs, le déploiement des équipes mobiles n’est pas toujours simple.

Éviter les mille-feuilles illisibles et les étiquettes

Dr Claire Fourcade : Chaque territoire aura son propre contexte, en fonction de l’historique et de ce qui existe déjà. L’important est d’éviter le mille-feuilles, complétement illisible. Il est essentiel de proposer les parcours les plus fluides avec le moins de frontières possibles, car ces frontières compliquent souvent le parcours des patients. Cela simplifie aussi l’approche pour les équipes de soins primaires. Il faut en outre éviter les seuils de rupture pour les patients, le « maintenant on passe en soins palliatifs ». Ainsi, le pôle qu’on a pu mettre en place permet dès le diagnostic de répondre aux besoins des patients, sans coller une étiquette. Nous sommes par exemple appelés parce que le patient est douloureux et je ne me présente jamais d’emblée comme médecin de soins palliatifs. Peu importe que le patient nous identifie comme l’équipe de soins palliatifs, l’essentiel c’est qu’à chaque moment il puisse bénéficier de l’accompagnement dont il a besoin.

Dr Myriam Combes : Il convient d’ajouter concernant le lien ville/hôpital, qu’un patient sur cinq est pris en charge en hospitalisation à domicile, ce qui contribue également à fluidifier les parcours.

JIM.fr : Quels sont les dispositifs spécifiques développés au sein de l’Hôpital Privé du Grand Narbonne (à Narbonne) pour former et accompagner psychologiquement les équipes ?

Dr Claire Fourcade : Concernant la formation, les besoins sont majeurs. Historiquement pour l’ex région Languedoc Roussillon, c’est notre pôle qui assure la formation des internes, depuis une douzaine d’années (une journée par an, ce qui est très restreint). Les étudiants de neuvième année que nous accueillons ont déjà beaucoup de questions et c’est clairement tout à fait insuffisant. Nous comptons par ailleurs deux postes d’interne très souvent demandés, par des étudiants en fin de cursus, qui se rendent compte qu’ils ne sont pas à l’aise avec les patients en fin de vie. Nous intervenons également au sein d’Instituts de formation en soins infirmiers. A propos de la formation continue, il y a également un important effort de réflexion à mener, notamment au niveau du groupe. Il est essentiel de proposer aux soignants une possibilité concrète d’être formés. C’est assez particulier comme prise en charge et il y a donc un vrai travail à faire.

Une mise à distance incontournable

L’accompagnement psychologique des équipes est également crucial. Les soins palliatifs constituent une activité qu’on ne peut pas endosser seul. C’est nécessairement une affaire d’équipe, sous peine de dégâts psychologiques importants, soit d’écroulement parce qu’on est trop sollicité, soit de sur-blindage parce qu’on est trop isolé. Une réflexion indispensable est donc à mener à propos de l’accompagnement de l’équipe, qui à mon avis doit aussi être pensé et soutenu par les directions et par ELSAN. Concrètement, cela peut prendre des formes différentes. Au sein de notre pôle, il s’agit d’un groupe d’écriture et non de parole. Les soignants écrivent ensemble sur les situations qu’ils ont rencontrées et un livre va même prochainement sortir.

Auprès de l’équipe mobile, il s’agit d’une régulation avec un psychologue. Quelle que soit la forme de l’accompagnement, d’emblée, il faut se dire qu’on aura besoin de mise à distance, de relecture des expériences, de partage, de construction d’équipe. On a besoin pour ça d’être soutenu par le management des établissements. Il faut que pour eux aussi ce soit identifié comme nécessaire.

Les lois françaises sont un message collectif très précieux face à la sensation de perte de sens

JIM.fr : Etes-vous fréquemment confronté à des demandes répétées d’euthanasie ? Regrettez-vous qu’en France ce sujet de l’accompagnement de la fin de vie soit trop souvent appréhendé à travers la question de la légalisation ou non de l’euthanasie ?

Dr Claire Fourcade : Toutes les équipes observent que les demandes d’euthanasie révèlent surtout beaucoup d’ambivalence. Il peut exister des demandes à un moment donné qui disparaissent à un autre moment : elles sont toujours particulièrement complexes. Or, cette dimension, cette complexité est très difficile à transmettre dans le débat public. Faire face à la mort debout, bien droit, est une attitude rarissime. Ce qui est bien plus fréquent dans le quotidien des équipes, ce sont des demandes beaucoup plus floues et variables. Notre travail de soignant, c’est d’offrir un espace d’écoute, d’entendre, mais pas seulement au premier degré, d’entendre aussi tout ce que ces appels disent de souffrance, du sentiment de perte de sens. Or, nous disposons actuellement en France de textes qui nous permettent de répondre collectivement aux patients que la loi envoie un message qui réaffirme : « vous comptez pour nous », « vous avez du sens pour nous » et « quoiqu’il en coûte, nous ferons tout pour vous soulager ». Quoiqu’il en coûte, cela veut dire y compris, même si cela doit raccourcir la vie, mais en tout cas : « vous avez du sens pour nous ». Et je trouve ce message collectif très précieux. Nous avons parfois tendance à sous-estimer son importance. Pour nous soignants, cela nous permet aussi de nous appuyer sur la loi pour dire aux patients que pour la société, vous allez nous manquer.

JIM.fr : Considérez-vous que la loi reste trop méconnue ?

Dr Claire Fourcade – Oui très largement. Nous avons fait une grande enquête en juillet dont les résultats ont été présentés au congrès de la SFAP à Valenciennes le 23 septembre dernier auprès de tous les soignants de soins palliatifs. Cette enquête a obtenu un important taux de réponses, ce qui nous a surpris. Il s’agit d’une enquête assez complexe, avec beaucoup de questions ouvertes sur les limites de la loi. Nous avons notamment posé une question sur la méconnaissance de la loi et nous constatons que chez les praticiens, cela reste une dimension très importante, qu’il s’agisse de l’ignorance des autres soignants ou des patients. J’ai d’ailleurs proposé via le centre national au ministère de faire une communication qui répondrait à la question simple « Fin de vie : quels sont vos droits ».

Œuvrer pour créer une véritable culture du soin palliatif et changer le regard sur la vie qui s’étire

JIM.fr : Un groupe comme ELSAN pourrait-il prendre part à une telle opération de sensibilisation ?

Dr Myriam Combes – Il semble effectivement fondamental de diffuser très largement une culture des soins palliatifs, et qui ne se limite pas à la cancérologie. C’est un point essentiel pour moi que cela concerne toutes les spécialités. Plus encore, nous souhaitons contribuer à faire naître un regard différent sur la dépendance, sur la vie qui s’étire, qui n’est peut-être pas la vie idéale qu’on pouvait espérer, mais qui est aussi une vie. Et je pense en effet, qu’il y a une place pour un groupe comme le nôtre dans ce travail de réflexion sur la façon dont on change le regard sur cette vie qui continue. Il s’agit notamment de faire évoluer le sentiment que beaucoup de patients ont de peser sur leur entourage.

Dr Claire Fourcade : Il ne faut pas sous-estimer combien collectivement par la loi ou institutionnellement par un groupe ou individuellement en tant que soignant, nous contribuons pour chaque patient, chaque famille à donner du sens. Je pense également qu’il est crucial de faire évoluer le regard des familles et des patients sur eux-mêmes. Dans notre établissement, l’espace est pensé dans cet esprit. Ainsi, nous avons très rapidement obtenu l’autorisation de la direction pour déployer un projet pictural qui impliquera les patients et qui permet de leur signifier, ainsi qu’aux familles que nous voulons qu’ils habitent ce lieu et donc qu’ils comptent pour nous.

Le premier accompagnement naturel du patient est la famille

JIM.fr : Quelles sont d’ailleurs vos actions concernant les familles ?

Dr Claire Fourcade : L’accompagnement des familles représente quasiment 50 % du temps. Nous essayons là encore de penser des lieux qui soient adaptés. Nous offrons une grande pièce à vivre où elles peuvent se faire du café, du thé, manger ensemble. Le premier accompagnement naturel du patient c’est la famille, ce n’est pas nous. Il faut donc qu’on permette ça. Notre rôle est également que le patient soit suffisamment bien pour que l’accompagnement par les familles puisse se faire de façon plus sereine. Notre première mission est vraiment de faire en sorte que les patients puissent avoir leurs proches autour d’eux.

La Covid a douloureusement questionné cette possibilité et nous avons mesuré à quel point c’était essentiel. Cela nous a rappelé que nous ne pouvons pas remplacer les familles.

La paix des survivants

L’idée majeure est de voir les soins palliatifs comme la paix des survivants. Ils sont destinés à permettre aux familles de continuer à vivre, sans que la douleur du deuil soit alourdie par de la colère, par du ressentiment, de la perte de sens, une expérience douloureuse. Quand on entend, dans les débats parlementaires, le nombre de députés qui racontent les conditions désastreuses dans lesquelles sont morts leur père ou leur mère, on se dit en effet que ça n’aurait pas dû se passer comme ça. Cependant, pour moi, la réponse est dans une amélioration constante de l’accompagnement et non dans l’euthanasie. Nous comptons encore bien trop de personnes en France qui ont été confrontées à des expériences inacceptables en 2021.

JIM.fr : Quel est enfin, concernant les soins palliatifs, la plus-value d’un groupe comme ELSAN ?

Dr Claire Fourcade : L’appartenance à un groupe doit être un vrai plus, en termes d’échanges et d’enrichissement. Nous l’avons d’ailleurs pour notre part parfaitement constatée avec la création de notre nouvel établissement. Nous sommes toujours plus intelligents à plusieurs que tout seul.

Dr Myriam Combes : Au sein d’ELSAN, cinquante-sept établissements dispensent des soins palliatifs. Et ce qui est frappant est la diversité des approches. Notre volonté est de fédérer toutes ces énergies. Cela passe par exemple par la possibilité de former, d’accompagner les soignants mais aussi les aidants et les patients. Cette dimension est un des enjeux phares du groupe. Nous souhaitons prendre comme point de départ ce que l’on fait au sein du groupe, avec une qualité exceptionnelle et de lui donner une résonance plus forte. J’espère que nous pourrons, notamment avec la SFAP, amener une profonde culture du soin palliatif, pour que les patients soient soignés au plus proche de chez eux et dans toutes les spécialités.

Casser les stéréotypes sur l’hospitalisation privée

Dr Claire Fourcade : Cela permet de briser de nombreux stéréotypes, notamment vis-à-vis de l’hospitalisation privée. Je dis souvent : si c’est possible chez nous, c’est possible partout. Puisqu’on fait ça dans un établissement privé, dans un territoire pauvre, cela veut dire que de multiples leviers peuvent facilement être activés. C’est très enrichissant de pouvoir témoigner de ça. Il n’est pas nécessaire d’être un très gros établissement pour être créatif, pour répondre aux besoins singuliers et au contraire il existe dans ces petites structures une véritable souplesse facilitante. Et dans les unités de soins palliatifs, véritables lieux de vie, où la vie est comptée, il n’y a pas de temps à perdre.

Propos recueillis par Aurélie Haroche