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La meilleure prévention des cancers digestifs est un suivi régulier des patients à risque

13 avril 2021

 

Alors que cette année encore, le mois de mars dédié à la prévention et de sensibilisation au cancer colorectal a souffert de perturbations notamment en raison de la pandémie, le docteur Camille Quirier-Leleu, gastroentérologue au sein du centre Clinical à Soyaux près d’Angoulême, établissement ELSAN nous rappelle que la prévention de ces cancers est un objectif quotidien et multiforme. Attention au microbiote, suivi régulier des patients à risque, sensibilisation à l’alcool, prise en charge des patients obèses, nous passons en revue avec elle les différentes actions continuellement mises en œuvre pour faire reculer les cancers digestifs.

JIM.fr : Comment s’opère dans votre pratique quotidienne votre rôle en matière de prévention des cancers de l’appareil digestif ?

Dr Camille Quirier-Leleu : C’est une dimension importante de ma prise en charge des patients atteints de maladie de Crohn et de rectocolite hémorragique. Ces pathologies sont en effet des facteurs de risque importants de cancers colorectaux, notamment quand il s’agit de pathologies mal contrôlées ou quand s’y ajoutent des antécédents familiaux. De la même manière, une sensibilisation cruciale est à réaliser dans le cadre du suivi des maladies du foie (hépatopathies) qu’elles soient d’origine  alcooliques ou virales  (hépatites virales B et C). Dans ces cas, il me paraît fondamental d’organiser un suivi régulier, semestriel, pour dépister la survenue d’un cancer du foie (hépatocarcinome). Cette vigilance particulière doit notamment permettre de re-sensibiliser les patients à l’importance de l’arrêt de l’alcool, que ce soit en prévention d’un carcinome hépatocellulaire ou après son diagnostic. Ainsi, le suivi des patients atteints de maladies intestinales inflammatoires chroniques et ceux atteints d’hépatopathies me paraît la situation la plus favorable pour ancrer un message efficace de prévention des cancers digestifs. C’est dans ce cadre que la transmission des messages est la plus pertinente et souvent la plus efficiente.

A surveiller : l’altération de la flore intestinale

J’ajouterai que j’ai un intérêt particulier pour le microbiote intestinal en consultation, au-delà de son rôle dans les troubles fonctionnels intestinaux (TFI). On sait en effet qu’une dysbiose (altération qualitative et fonctionnelle de la flore intestinale), a une influence sur l’initiation, le maintien et la gravité d’une inflammation digestive et entraine une augmentation de certaines bactéries, notamment les fusobacterium. Or, cette augmentation serait associée au cancer colorectal. Les cellules auraient des propriétés mutagènes. Et ce sont ses mutations qui génèreraient des sécrétions de toxines responsables d’une inflammation et d’une prolifération tumorale. Ce sont cette inflammation et cette prolifération cellulaire qui seraient à l’origine de la formation de cancers coliques à l’instar de l’infection par Helicobacter pylori dans le cancer gastrique.

JIM.fr : Quelles sont les actions mises en œuvre par votre équipe pour participer à l’opération Mars Bleu ?

Dr Camille Quirier-Leleu : Il est très important de rappeler que le cancer colorectal est le troisième par incidence, avec 45 000 nouveaux cas par an. Aujourd’hui, la participation de la population au dépistage systématique en France est trop faible et encore davantage pendant cette crise sanitaire, n’atteignant pas même 50 % des sujets concernés. Aussi, essayons-nous de sensibiliser massivement, mais pas nécessairement uniquement pendant le mois de mars, mois dédié à la prévention de ces cancers avec l’Opération « mars bleu » .
Nous collaborons notamment au Colon Tour qui a été mis en place par la Ligue contre le cancer, la fondation Arcad (Aide et Recherche en Cancérologie Digestive) et la Société française d’endoscopie digestive. Ces trois associations ont déployé ce tour qui est organisé dans plus de 60 villes de France. Le public peut déambuler dans un colon géant : ce cheminement lui permet de comprendre comment évoluent les lésions au sein du colon, avec les polypes adénomateux et la dégénérescence en cancer du côlon. Ce dispositif de communication met ainsi en évidence l’importance du dépistage et de la coloscopie. En tant que professionnels, nous sommes là pour répondre à toutes les questions et orienter éventuellement les visiteurs vers des consultations. Ils ont en effet souvent beaucoup de questions par rapport à leurs antécédents personnels et leurs symptômes. (En 2020 et 2021, le Colon Tour a malheureusement dû être annulé, ndlr en raison de la situation sanitaire).

JIM.fr : Dans quel délai pouvez-vous proposer un rendez-vous de coloscopie à un patient dont le test immunologique de recherche de sang occulte dans les selles est positif ?

Dr Camille Quirier-Leleu : Notre équipe du centre Clinical propose un rendez-vous dans les quinze jours. Le guide européen pour l’assurance qualité du dépistage et du diagnostic du cancer colorectal préconise à cet égard la réalisation de la coloscopie dans les 30 jours après un test positif. Des études montrent qu’on observe une augmentation nette de la mortalité lorsqu’après un test positif, la coloscopie est réalisée passé un délai de 6 mois..

JIM.fr : Participez-vous à des actions de lutte contre l’obésité en tant que facteur de risque de cancer digestif ?

Dr Camille Quirier-Leleu : On le sait, l’obésité est pourvoyeur de cancers digestifs. Nous collaborons au Réseau pluridisciplinaire de prévention et de prise en charge de l’obésité et du surpoids (RéPPoP) créé en Charente en 2006. Ce réseau a pour objectif d’accompagner les patients avant et après la chirurgie bariatrique. Notre équipe de gastro-entérologues intervient dans ce cadre pour la réalisation de fibroscopie avant la chirurgie bariatrique et pour le dépistage de l’infection à Helicobacter pylori.

JIM.fr : Quels sont les programmes mis en place par votre centre pour sensibiliser les patients aux risques de la consommation d’alcool ?

Dr Camille Quirier-Leleu : Nous nous aidons en consultation d’outils de sensibilisation. Il s’agit de questionnaires d’évaluation de leur consommation d’alcool, notamment le questionnaire DETA. Ce qui est important, c’est qu’il s’agit ici d’une sensibilisation dynamique, qui va au-delà de la présentation de brochures. Les patients sont ici directement acteurs, puisqu’à partir de leurs résultats peut être déployé un discours personnalisé sur leur risque, en fonction de leur consommation.

JIM.fr : Quel est votre regard sur la recommandation américaine d’une prévention par l’aspirine (<100 mg par jour) du cancer colorectal chez les sujets de 50 à 59 ans (présentant un risque cardiovasculaire à dix ans supérieur à 10 %) ? Est-ce une recommandation que vous suivez dans votre pratique ?

Dr Camille Quirier-Leleu : Une étude publiée dans la revue  JAMA Oncology reposant sur un suivi d’une cohorte de professionnels de santé pendant 32 ans, met en effet en évidence le fait que ceux qui avaient été exposés à la prise d’aspirine deux fois par semaine, présentaient une réduction de 15 % du risque de cancer colorectal. Il s’agit d’une étude observationnelle et non randomisée. Aujourd’hui, il n’y a pas de recommandations dans nos pays européens dans ce sens.  Mon avis est qu’il faudrait un essai clinique randomisé en double aveugle pour pouvoir trancher. Aujourd’hui, les données ne sont pas assez robustes pour recommander en pratique quotidienne untel traitement préventif, d’autant plus qu’il ne faut pas oublier les risques hémorragiques gastro-intestinaux de l’aspirine. La prévention par aspirine ne doit certainement pas se substituer au dépistage du cancer colorectal.

ELSAN et le cancer colorectal
Plus d’un patient sur 10 en France suivi et pris en charge dans les 68 hôpitaux privés qui traitent les cancers colorectaux. Ils représentent 1 patient sur 4 pris en charge dans les établissements privés.

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